• préface Tableaux Vernonnais

    Le même soir d’hiver, en février 2017, j’ai découvert lors d’un concert dans le temple protestant de la rue Cortambert, à Paris, le double talent de Joachim Bresson. J’étais venu avec l’un de mes amis, attiré par un rare et magnifique programme : les mélodies d’Henri Duparc qui m’ont enchanté des ma jeunesse et qui étaient associées pour moi à la voix de Camille Maurane. Celle de Joachim Bresson, son interprétation, m’ont immédiatement rappelé ce grand interprète que j’ai eu la chance d’entendre, de connaître et d’approcher, jusqu’à son concert d’adieux, au Théâtre Grévon, et même au delà. Le même soir j’avais la révélation de L’Amour de la poésie, recueil de rondeaux à la manière de Charles d’Orléans, où Joachim Bresson ressuscite la musique des mots. 

     

    Son nouveau recueil, Tableaux vernonnais, est une nouvelle preuve de cette association. Au-delà de l’exigence de Verlaine, «De la musique avant toute chose», Joachim Bresson fait chanter un paysage, la «Verte montagne au climat doux / Qui de Vernon surmonte l’aire», quand «Dans le couchant au soleil roux / Un jour chante avant de se taire». Car le temps qui s’écoule chante aussi, avec des silences, avec un rythme qui est toujours celui d’un coeur qui bat, parfois «à petits pas», comme dans la promenade évoquée dans le premier rondeau. 

     

    Rimbaud était présent dans le recueil précédent de Joachim Bresson. Sans avoir besoin d’être nommé, pour moi il l’est encore dans celui-ci, même si la campagne normande des Tableaux vernonnais n’est pas celle des Ardennes. «Ma bohème» repasse dans l’un de ces rondeaux, mais sans qu’il suffise au marcheur d’être le «féal» de la Muse. La promenade amoureuse se révèle décevante, comme elle l’a été dans «première soirée» pour l’adolescent de Charleville qui avait choisi finalement de publier ce poème dans une revue satirique, La Charge, et sous un autre titre, «Trois baisers» (je serais tenté de dire « trois petits baisers, et qui s’en vont»). Encore paisible, «A petits pas / Dessous les saules», mais en «marchant bas», elle est plus tendue quand le rondeau s’adresse «à une indécise», quand le doute vient dans l’esprit de celui qui craint d’être le seul à aimer, quand une distance se crée, quand «suffoque» celui qui craint d’être le seul à «soliloqu(er)»

     

    Joachim Bresson laisse à entendre que la campagne de Vernon a été le lieu d’une déception sentimentale. Mais peut-être n’est-ce là qu’un échec apparent, surtout quand l’amour de la nature se substitue à l’amour pour une femme et quand est mieux acceptée la «solitude au printemps». L’amour de la poésie, surtout vient panser les plaies du coeur, associé bien-sûr à l’amour de la musique, présente avec l’allusion au poème symphonique de Franz Liszt («Du berceau à la tombe»), dans un rondeau qui fait allusion au «Bertrand de Dijon», Aloysius Bertrand, l’auteur du Gaspard de la Nuit qui inspira à Maurice Ravel un chef-d’oeuvre pianistique. 

     

    La «chambre de Pacy» peut ouvrir sur le «jardin de Bréval», et le donjon de Vernon est comme l’affirmation d’une force qui domine le temps sans pourtant l’abolir. Et «le lent flux de la Seine» ne coule plus à Paris, sous le pont Mirabeau, mais traverse la plaine Normande, «Identique et changeant / Depuis la nuit des temps»

     

    Ce nouveau recueil de rondeaux est donc bien aussi un Canzoniere où certes, comme dans celui de Pétrarque, la douleur est présente, mais où elle est surmontée par la grâce de la musique du verbe et par l’espérance symbolisée dans le dernier rondeau par la «Verte montagne au climat doux»

     

     

    Pierre BRUNEL 

    Professeur émérite à la Sorbone 

    Membre de l’Institut 

    (Académie des Sciences morales et politiques)